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Danser dans les ghettos et dans les camps : entre persécution et survie - Laure Guilbert

Cette étude originale s'inscrit dans le champ des études historiques récentes portant sur les pratiques artistiques marquées par l'expérience de la Shoah. Elle a pour ambition de brosser un panorama des formes de survie par la danse dans les espaces d’enfermement instaurés par le Troisième Reich au fil de sa politique d’extermination. En miroir, sont interrogées les fonctions humiliantes et persécutives des pratiques de danse imposées par les bourreaux

Bourse postdoctorale 2022-2023

Cette étude originale s'inscrit dans le champ des études historiques récentes portant sur les pratiques artistiques marquées par l'expérience de la Shoah : musique, dessin, peinture, écriture, poésie... Pourtant, la danse est moins que toute autre pratique attendue dans ce contexte, où le corps est affamé, affaibli et persécuté. 

Des témoignages écrits et oraux, des dessins, photographies et des films, récoltés par Laure Guilbert depuis plusieurs années, montrent que des gestes de danse, même infimes sous forme de "micro-mouvements" ont existé dans les contextes de violence extrême que furent les ghettos et les camps. Ils furent pour leurs porteurs – danseuses et danseurs amateurs et professionnels, majoritairement juifs - des stratégies de survie par la créativité qui leur permirent de renouer avec l’expression de soi, l’imaginaire, voire la spiritualité, mais aussi de favoriser des moments de réconfort et d’entraide à plusieurs. Laure Guilbert, qui a travaillé sur l'histoire des avant-gardes chorégraphiques dans l'Allemagne et l'Europe centrale de l'entre-deux guerres, montre que la danse, au même titre que la musique, était un aspect important de l’éducation dans cet espace multiculturel.

Cette étude, qui est aussi un projet de livre, a pour ambition de brosser un panorama des formes de survie par la danse dans les espaces d’enfermement instaurés par le Troisième Reich au fil de sa politique d’extermination : les ghettos, camps de concentration et centres de mise à mort, tout comme les camps d'internement de la France occupée et du régime de Vichy. Il abordera également les formes de soin par la danse mises en place par les organisations juives et de secours, ainsi que par les survivants, dans les orphelinats et les camps de personnes déplacées au lendemain de la guerre. 

En miroir, sont interrogées les fonctions humiliantes et persécutives, imposées par les bourreaux, à la fois celles décidées arbitrairement durant les fusillades de masse de la "Shoah par balles", ou les inspections des camps (notamment par le Dr Mengele) mais aussi celles commandées sous forme de spectacles pour les films de propagande tournés dans les ghettos ou lors des célébrations de Noël, destinées aux personnels SS des camps. Quelques danseuses sont en outre associées au cabaret officiel du camp de regroupement et de transit de Westerbork, aux Pays-Bas, ainsi que, de façon ponctuelle, à certaines programmations des orchestres officiels d’autres camps.

C'est en travaillant initialement sur les parcours d'exil des danseurs d'Europe centrale pour d'autres travaux en cours que Laure Guilbert a commencé à réunir et identifier les traces directes et indirectes des artistes chorégraphiques déportés et s’est penchée plus particulièrement sur les formes de résilience et de résistance inédites que ces derniers ont développées. Nombre de ceux qui ont survécu ont peu à peu tiré de leur expérience traumatique la capacité de se réinventer au travers de nouvelles pratiques chorégraphiques, pédagogiques et thérapeutiques mises au service des jeunes générations.

Cumulant les approches de Carlo Ginzburg et de Saul Friedländer, Laure Guilbert souhaite ainsi articuler ces différentes réalités autour d’une microhistoire intégrée de la danse durant la Shoah. 

Ghetto de Varsovie, danseuses sur scène, mai 1941 - Film de la Propaganda Kompanie 689 © Bundesarchiv Koblenz, Image 101l-134-0771A-30 / photographe : SS Ludwig Knobloch

Ghetto de Varsovie, danseuses sur scène, mai 1941 - Film de la Propaganda Kompanie 689 © Bundesarchiv Koblenz, Image 101l-134-0771A-30 / photographe : SS Ludwig Knobloch

Laure Guilbert est spécialiste de l'histoire contemporaine de la danse. Polyglotte, elle a suivi une partie de sa formation en Italie, a enseigné en Allemagne et a participé à des séminaires de recherches en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Elle est actuellement membre associée au Centre d'histoire des mondes contemporains de Paris I et de l’Institut Convergences Migrations du Campus Condorcert.

Sa thèse d'histoire consacrée à la politique chorégraphique du IIIe Reich a été publiée à Bruxelles sous le titre Danser avec le IIIe Reich. Les danseurs modernes sous le nazisme (Éditions Complexe, 2000 ; André Versaille Éditeur, 2011; disponible en ebook). 

Laure Guilbert reçoit depuis septembre 2022 pour cette étude une bourse postdoctorale de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Invitée en résidence par l'institut Max Planck de Berlin, elle y poursuivra ses travaux en 2023.

Paula Padani en 1948 au camp de personnes déplacées de Landsberg (Bavière). Danseuse moderne formée à Dresde, exilée en Palestine britannique, elle participe aux tournées artistiques organisées par le Joint Distribution Committee dans les camps de personnes déplacées © Collection privée, Paris (avec l’aimable autorisation de G. de Gail)

Paula Padani en 1948 au camp de personnes déplacées de Landsberg (Bavière). Danseuse moderne formée à Dresde, exilée en Palestine britannique, elle participe aux tournées artistiques organisées par le Joint Distribution Committee dans les camps de personnes déplacées © Collection privée, Paris (avec l’aimable autorisation de G. de Gail)