Mémoire | Film

Joseph Kessel, la mallette de l'ogre - Patrick de Saint-Exupéry

Impossible de saisir en une heure la vie foisonnante de Joseph Kessel qui a traversé tous les soubresauts du 20ᵉ siècle sans jamais lâcher sa plume. Le réalisateur a donc fait le choix de s'attarder sur quelques chapitres essentiels qui racontent les mille vies du "reporter, romancier, exilé, résistant, scénariste, aventurier, joueur, poète, alcoolique, amateur de cabarets, séducteur, bourlingueur invétéré", en somme un ogre, mais "tout en tendresse et en empathie". 

Diffusion : dimanche 5 octobre 2025 à 21h05 sur France 5

Né en 1898 de parents juifs d'origine russe, Joseph Kessel a traversé tous les soubresauts du 20ᵉ siècle dont il s'est fait l'observateur attentif et talentueux. Auteur à succès dès ses 20 ans, il n'a cessé de nourrir ses romans de ce qu'il a raconté dans ses grands reportages, réalisés aux confins du monde où son goût de l'aventure le poussait sans cesse. 

Aviateur pendant la Première Guerre mondiale, Kessel se rend volontaire pour participer à une escadrille internationale d'observation. Après 80 jours d'un interminable voyage, il arrive à Vladivostok en plein hiver et y reste un mois entre le port, la gare et les lieux interlopes. La démesure déjà, celle du lieu et du temps, lui inspire deux récits et un roman. Démobilisé, il entre peu après au Journal des Débats grâce à sa maîtrise du russe. Son premier reportage en Irlande le fait remarquer par son style clair, net, percutant, son sens de l'anecdote et son art de la description. Il est un écrivain déjà reconnu quand le journal Le Matin lui donne carte blanche pour un grand reportage sur les traces des derniers marchés d'esclaves des bords de la mer Rouge. Grâce à un budget hors norme (1 million de francs, soit 20 ans de salaire d'un jeune reporter), l'expédition dure 4 mois : guidé par l'aventurier et écrivain Henri de Monfreid, Kessel en revient avec un reportage exceptionnel en 36 épisodes, illustrés de photos redessinées au crayon, qui font augmenter le tirage du journal de plus de 100 000 exemplaires. Il entre pour de bon dans la cour des grands pour ne plus en ressortir. 

Nourri de photos, d'extraits des récits de Kessel, articles ou fiction, et d'un entretien donné au soir de sa vie à la télévision, le film s'attarde ensuite sur deux épisodes majeurs de sa vie dans les années 1940 : la Seconde Guerre mondiale puis la création de l'État d'Israël. 

Mobilisé dès 1939 comme correspondant de guerre, mais tenu à l'écart des troupes, il n'est pas dupe de la propagande de l'armée. L'armistice le révolte et la collaboration le dégoûte : écrivain juif, ses livres sont interdits. Il rallie alors Londres en janvier 1943, d'où il dénonce avec une grande lucidité "la lâcheté veule de Vichy" et la "police française complice". De Gaulle le mandate pour écrire un livre sur la Résistance. Ce sera L'armée des ombres, inspiré des échanges de Kessel avec les chefs de la Résistance que sont Henri Frenay, Pierre de Bénouville ou Emmanuel d'Astier, qu'il rencontre quand eux reviennent à Londres entre deux missions. Cet ouvrage "qui lui a donné le plus de peines" associera les valeurs de patrie, d'honneur et d'humanité à la Résistance, comme un pied de nez à Vichy dont Kessel "exécute" le vieux chef dans un texte au vitriol paru après le Débarquement en Provence. Son autre contribution majeure à l'effort de guerre est de ceux qui permettent de galvaniser les troupes et redonner espoir : sur un vieux chant russe célébrant les partisans repris par Anna Marly à Londres, Kessel écrit avec son neveu Maurice Druon les paroles du chant des partisans, qui sera diffusé à la radio, largué par tract en France, et passera à la postérité comme l'hymne de la Résistance

L'autre moment de sa vie qui le ramène à ses origines juives est l'année 1948 qui voit la création de l'État d'Israël, cette "terre orpheline disputée entre deux peuples", que Kessel a "l'impression de connaître sans y avoir jamais été" lors de son premier séjour en Palestine mandataire en 1927. Il en revient fasciné par l'énergie de ce peuple cosmopolite de pionniers qu'il voit travailler d'arrache-pied à construire un État, "dans des kibboutz sortis des sables" : "Alors là, vraiment, j’ai eu le coup de foudre et je me suis attaché pour toujours à la cause du sionisme. Ces types, c’était le sel de la terre. Des idéalistes absolus qui voulaient non seulement créer un État, mais en faire un paradis parmi les hommes. Ils bouffaient n’importe quoi, buvaient ce qui leur tombait sous la main, crevaient de paludisme, mais ils étaient rayonnants". Renouant alors avec sa judéité et son enfance dans le Marais, il fait en sorte d'être sur place dès le 15 mai 1948 et se voit apposer sur son passeport le visa n°1 du tout nouvel État d'Israël. Grand reporter sur place pendant un mois, il est témoin de la guerre qui se déclenche entre "des États arabes sans cohésion" contre un "peuple juif uni" venu de tous les coins du monde défendre ce tout jeune État.

Le film de Patrick de Saint-Exupéry est à la hauteur de son sujet : foisonnant d'images d'archives et de sons d'époque, riche de longues citations des multiples écrits de Kessel, il raconte les mille expériences d'une vie fascinante passée à chevaucher un siècle débordant de tragédies que cet écrivain né a rendu compte avec un incomparable talent. 

Joseph Kessel, la mallette de l'ogre - Patrick de Saint-Exupéry

Joseph Kessel en Sibérie en 1919

62 mn / 2024 / 13 prods 

Ce film a reçu le soutien de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah.  

Diffusion 

 Vendredi 28 novembre 2025 à 23h20 sur France 5